Un phalanstère moderne.
Certaines grandes entreprises cherchent à améliorer leur attractivité en concevant des immeubles tertiaires qui proposent, outre des espaces de travail de qualité, de nombreux services annexes. Les collaborateurs n’ont plus besoin de mettre le nez dehors pour aller chercher la baguette pour le dîner, renouveler leur carte d’identité, ou faire réparer leur voiture. Réflexions sur cette évolution.
À gauche une banque, plus loin dans le couloir un service de maintenance de voitures, un guichet dédié à l’accompagnement des démarches administratives de toutes sortes. À droite un coiffeur, pour messieurs et dames, ou encore un espace beauté. À d’autres étages de l’immeuble, une boulangerie, des cafeterias, un service de restauration rapide, une salle de sport. Les couloirs, spacieux, facilitent la circulation. Le visiteur peut être surpris. Serait-ce un immeuble du Corbusier ? Mais où dorment les gens ? En fait, ils n’y dorment pas, ils y travaillent. Il s’agit du nouvel immeuble de Bouygues Telecom, à Issy-les-Moulineaux. Ces services sont proposés aux salariés pendant les heures de pause, entre midi et deux heures et en fin d’après-midi, parfois tôt le matin. Avec 5 500 collaborateurs répartis sur une dizaine de sites, le groupe souhaitait les rassembler. Deux immeubles, ont été donc conçus (entre autres) pour les séduire et les satisfaire. Qui aurait cru que l’on puisse un jour acheter dans son entreprise des bonbons, des bijoux, des parfums, des fleurs, des habits…? On peut même consulter la liste des biens et services proposés sur l’Intranet maison.
La théorie de Charles Fourier serait-elle plus que jamais à l’ordre du jour ? Au XIXe le concept du phalanstère pas pris. Il s’agissait de mettre en place des communautés idéales, pour créer des conditions favorables au travail et lutter contre le paupérisme. Les ouvriers et leur famille devaient être logés dans de grandes bâtisses, entourées de cours, végétation, écoles, théâtres, etc. Des industriels tels que Jean-Baptiste André Godin s’y étaient aventurés. Les limites d’un tel système étaient le coût, bien entendu à la charge de l’industriel, mais également un effacement peu à peu de la vie privée au profit de la collectivité et un contrôle accru des libertés individuelles. Deux siècles plus tard, les grandes sociétés décident à leur tour de donner à leurs « fidèles » des conditions de travail harmonieuses et facilitatrices d’une activité productive et performante. Les raisons en sont quelque peu différentes. Il ne s’agit plus d’une démarche humaniste, destinée à lutter contre la promiscuité, mais de pouvoir retenir le plus longtemps possible, dans la durée et dans le temps, les collaborateurs. Éloignées des centres villes, les entreprises partaient avec quelques handicaps en matière d’attractivité par rapport à celles situées en plein cœur de Paris. Certes, il est toujours intéressant sur un curriculum vitae de travailler pour une marque forte mais si les conditions de travail sont trop contraignantes, les salariés risquent fort d’aller voir si l’herbe n’est pas plus verte ailleurs. Philippe Cuénot, DRH groupe de Bouygues Telecom, se satisfait : « Nous avons un retour sur investissement de toutes nos actions car notre turnover est extrêmement faible. Nous avons réalisé de nombreuses enquêtes de satisfaction en interne et on constate que les salariés sont attachés au groupe et possèdent une fierté d’appartenance. Nous sommes également évalués en externe par le biais de nos participations à de nombreux prix, comme le Top Employeur ou le Great place to work, qui nous permettent de faire un benchmark de nos pratiques. Les services ne font pas tout : nous offrons une grande mobilité en interne qui facilite la progression professionnelle et donne des perspectives d’évolution aux collaborateurs. »
Aujourd’hui l’entreprise doit plaire. Du moins, celle qui en a les moyens. Dans la course aux talents, elle aura un avantage certain. De plus, veiller au bien-être et au respect de l’équilibre vie privée/vie professionnelle, aide les salariés à ne pas se laisser parasiter par les différentes obligations quotidiennes, et donc, à mieux se consacrer à leur travail ! Ainsi, la boulangerie, récente, permet de quitter les locaux à la dernière minute tout en étant certain de pouvoir ramener du pain à la maison le soir. De même, le service de maintenance automobile permet au collaborateur de déposer les clés de sa voiture le matin pour les récupérer le soir même, les réparations effectuées. Existe également un service de maintenance informatique, mais uniquement pour le matériel de l’entreprise. « Historiquement nous avions un salon de coiffure et une agence bancaire. En 20 ans nous avons enrichi notre gamme d’offres aux salariés et notre volonté est de dupliquer notre bouquet de services en province » explique Philippe Cuénot. « Lorsque le salarié a la possibilité de se décharger d’une partie de son quotidien cela lui évite de perdre du temps. Il n’a pas à poser un jour de congé et du coup est plus détendu. Nous proposons des services qui ne nécessitent pas de gros travaux d’installation. La boulangerie existe depuis moins de deux ans. On ne pourrait pas mettre en place par exemple une boucherie qui nécessite une infrastructure complexe. Il faut également que l’opération soit rentable pour le commerçant.»
En juillet 2009, Microsoft France, qui a mené la même réflexion pendant deux ans, déménage : 1 500 personnes sont regroupées en un même lieu, également à Issy-les-Moulineaux. Yves Grandmontagne, DRH, témoigne : « Pour se faire, nous avons constitué des groupes de travail qui rassemblaient la direction générale, les partenaires sociaux et les collaborateurs. Tout a été pensé, l’environnement de travail, l’aménagement des espaces, la configuration des bureaux, la restauration, le choix des meubles… Chaque étage, est composé de plateaux qui regroupent maximum une vingtaine de personnes et des espaces communs, mais possède ses spécificités. Nous avons eu une démarche audacieuse qui nous a fait remporté le premier prix Great place to work l’an passé, et interpelle d’autres entreprises, en quête d’inspiration, qui viennent régulièrement nous visiter.«
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Christel Lambolez
La suite dans la revue officeETculture de juin 2011
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