Un entretien avec Jean Lapeyre, chargé de mission Europe pour Syndex. Propos recueillis lors du colloque organisé le 7 avril dernier par le Club DéciDRH, le Medef Ile-de-France et l’Association Européenne d’Outsourcing.
En cas d’externalisation d’une partie d’une fonction de l’entreprise, faut-il l’accord des partenaires sociaux ?
L’externalisation est toujours vécue comme un traumatisme, ce qui en fait un mot pas très agréable aux oreilles des syndicalistes. Externaliser ne veut pas dire seulement sortir une fonction de l’entreprise mais aussi délocaliser un ou des services, donc des salariés dont l’emploi et le statut vont se trouver menacés ou remis en cause. Le resserrement autour de ce qu’on appelle le cœur de métier a conduit ces dernières décennies à supprimer des services, voire des usines, pour confier les tâches concernées à la sous-traitance. Les TIC permettent encore plus facilement d’externaliser des fonctions mais en éloignant des centres de décision et du contrôle collectif. L’externalisation a même permis le développement d’une zone grise de l’emploi dans des conditions de subordination économique qui pervertit la relation de travail en substituant un rapport de droit commercial au rapport de droit du travail. Au travers de l’externalisation, la fonction RH perd deux de ses éléments fondamentaux : sa proximité et son humanité.
Alors oui, il est bien évident que toute évolution de l’organisation de l’entreprise, et en particulier l’externalisation, doit être l’objet d’une information, d’une concertation et le cas échéant d’une négociation avec les syndicats et les représentants du personnel. Ce processus de dialogue social ne doit d’ailleurs pas s’arrêter à la décision d’externalisation mais aussi au suivi dans le temps de ses effets internes et externes, de sa pertinence sur la qualité du travail et son coût, les conditions de travail et l’emploi des salariés « externalisés ». Il en va de la responsabilité sociale de l’entreprise d’assurer ce contrôle de la sous-traitance.
Pouvez-vous dire que le modèle français est fortement influencé aujourd’hui par celui des pays anglo-saxons ?
Depuis des dizaines d’années, les RH ont été influencées par les modes américaines synonymes à tort ou à raison d’efficacité économique. D’où croyez-vous que viennent le mot management, les concepts de culture d’entreprise (Corporate culture) et de responsabilité sociales des entreprises (CSR), sans compter le mot outsourcing… L’externalisation peut être un élément de report de ces gestions tendues sur la périphérie de l’entreprise sans que celle-ci n’ait à en assumer les conséquences. Mais les faits, après bien des errements, ont montré qu’on ne transpose pas si facilement des cultures « étrangères » sans tenir compte des caractéristiques historiques et sociales des pays européens et en particulier en France.
Lorsque l’externalisation s’accompagne d’un transfert de compétences, peut-il y avoir une portabilité des droits pour les salariés ? Est-ce que des accords spécifiques à ce sujet peuvent être conclus entre l’entreprise et le sous-traitant ?
Oui, on en revient à la première question sur le dialogue social. D’une part les évolutions du marché du travail, la diversification des formes d’emploi, l’éclatement des lieux de travail et la mobilité, l’utilisation des TIC… obligent les syndicats à prendre en compte ces éléments nouveaux et à concevoir de nouveaux droits dans des espaces différents.
D’une part en promouvant la portabilité des droits par l’attachement de ces droits à la personne et non plus à l’emploi occupé. C’est une approche difficile mais nécessaire qui doit permettre une individualisation des droits dans un cadre collectif assurant les éléments de portabilité et de solidarité.
D’autre part concernant les PME, l’externalisation peut vouloir dire la mutualisation de certains éléments (formation, santé/ sécurité, avantages sociaux…) dans un cadre territorial et professionnel qui permette d’assurer l’effectivité de ces droits, qui ne peut l’être par chaque PME et en particulier TPE.
Enfin il y a maintenant une approche transnationale au travers des comités d’entreprises européens – CEE (près de 900 actuellement) et la conclusion d’accords cadres internationaux entre des entreprises multinationales et des fédérations syndicales internationales (souvent cosignés par des fédérations européennes et des CEE). Ces accords prennent souvent en compte le problème de la sous-traitance dans un souci de traçabilité sociale et environnementale.
Propos recueillis par Christel Lambolez